Offenbach 1970-1985
Biographie par Louis Bonneville
1970, Province de Québec. Le climat sociopolitique est à chaud : le jeune Parti québécois participe pour la première fois aux élections générales, tandis que le FLQ déclenche une crise sans précédent avec l’enlèvement d’un diplomate britannique et d’un politicien québécois...
Côté musique l’année est tout aussi renversante : Jean-Pierre Ferland se métamorphose avec Jaune, un album concept grandiose, et Robert Charlebois triomphe avec la chanson « Ordinaire », pour le moins extraordinaire... La période yéyé des sixties, qui a fait twister les baby-boomers, est ainsi bel et bien révolue. Cependant, sa descente abrupte dans l’oubli a quasiment entraîné dans son sillage un de ses meilleurs groupes : Les Gants Blancs. En effet, en mai, le quatuor vient de terminer une série de spectacles en qualité d’accompagnateur d’un chanteur à la carrière agonisante : Bruce Huard. L’ancienne vedette et leader du groupe Les Sultans n’a carrément plus la cote, et ce, malgré ses efforts des dernières années pour transformer son style musical en s’inspirant de ce qui est en vogue sur la côte ouest américaine, question d’être en phase avec son temps. Devant ce naufrage, il décide d’abandonner le monde de la musique... Au même moment, dans le même désir de s’extirper de son marasme, le groupe Les Gants Blancs se débarrasse de son nom démodé pour adopter celui d’Opera Pop d’Offenbach.
Quand le groupe change de nom, il y a déjà un an que ses quatre musiciens travaillent ensemble. En dépit du déclin du phénomène populaire des groupes se produisant dans des salles de danse, le quatuor aura tout de même réussi, durant ces 12 mois, à donner plus de cent spectacles, avec ou sans Bruce Huard, et ce, un peu partout dans les bars, hôtels et sous-sols paroissiaux et arénas du Québec. Sa synergie sonore prend sérieusement forme.
Opera Pop d’Offenbach est un ensemble hétéroclite. Tout d’abord, il y a Gérald Boulet, surnommé Gerry (prononcé à l’anglaise et écrite avec un J pour un temps, puis avec un G). Né à Saint-Jean-d’Iberville le 1er mars 1946 d’une famille ouvrière, Gerry ne s’impose ni par sa taille ni par son poids, mais il en jette. Dos droit, fier sinon orgueilleux, il n’a peur de rien ni de personne. D’un tempérament explosif, il peut balancer à quiconque ce qu’il croit être ses quatre vérités, et ce, surtout quand il a quelques bières derrière la cravate. Cela fait partie de son intégrité. Musicalement, il est doué et extrêmement discipliné. Depuis sa jeunesse, Gerry ne carbure qu’à la musique. Il maîtrise plusieurs instruments : trompette, saxophone, flûte traversière, harmonica, guitare, guitare basse, piano, orgue et, par-dessus tout, il chante. Sa voix est juste, très juste même, elle porte loin et fort et son timbre rauque sera sa marque. Debout derrière son orgue (Vox Continental) supportant un piano électrique (Hohner Pianet), Gerry donne le ton avec ses habiletés rythmiques et mélodiques. Il est solide comme un roc.
Le guitariste est un type de Granby né le 12 mars 1948, Jean Gravel, Johnny pour ses comparses musicaux. Un peu bourru, il est du style à la jouer cool, et à se mêler de ses affaires. Son truc à lui, c’est la guitare. Autodidacte, il a passé un temps fou sur cet instrument. À force d’exploration, et surtout en repiquant avec sa très bonne oreille le répertoire des Ventures, il a développé un style reconnaissable entre tous, tant pour la mélodie que le rythme : une façon de groover bien à lui. Avec sa Fender Telecaster branchée à un fuzz et à des amplis Traynor, il imprègne le band d’une véritable signature sonore — un des éléments essentiels pour rayonner dans le rock. Il plaque des riffs staccato un peu à la manière de ceux de Jimmy Page ou de Ritchie Blackmore, mais ses lignes mélodiques ont souvent des tonalités graves et répétitives, un peu comme s’il martelait le métal intensément pour ainsi lui forger une ligne parfaite. Quand cela est nécessaire, il peut faire les chœurs avec aplomb, et il chante étonnamment haut. Ainsi, aux côtés de Gerry, une magie opère — un duo étonnant façon Al Kooper et Mike Bloomfield. Cette synergie ne cessera de se peaufiner au fil des ans.
Le bassiste c’est Michel, le fils du très populaire chanteur country Willie Lamothe. D’ailleurs, tous l’appellent par le prénom de son père, mais le prononcent à l’anglaise (et ils écrivent Willie ou Willy). Lamothe, né le 21 février 1948 à Saint-Hyacinthe, ne passe pas inaperçu. Genre grand fanal au look tenant du hippie psychédélique et du gars de bicycle. Il mord dans la vie quasiment comme s’il n’y avait pas de lendemain. Toujours prêt pour la fête, il rit fort et, surtout, il en a long à dire sur à peu près tous les sujets. Son influence dans le groupe est déterminante : il apporte des idées musicales clés, tout en ciselant le style du groupe. Au départ, Willy est guitariste. Ainsi, avec cet atout, sur sa basse Fender Precision, il perfectionne sa manière assez mélodique d’en jouer, tout en fournissant de solides assises rythmiques aux pièces rock. Sa voix est assez solide pour qu’il puisse être soliste à l’occasion, et excellente pour les chœurs.
À la batterie on retrouve le frère aîné de Gerry, Denis, né le 22 juillet 1944. Pour les gars du groupe, et surtout pour son frère, son surnom c’est « L’vieux ». Le gaillard, sympathique, garde toujours un œil sur son jeune frère, qu’il a d’ailleurs initié au domaine de la musique alors qu’il était encore mineur (1962). Avec sa batterie Ludwig, configurée à la Beatles, il a un son classique, une très bonne frappe et de bonnes idées de rythmes (simples, mais efficaces). Tout comme les autres membres du groupe, il chante bien.
À l’automne 1970, un individu aux allures beatnik commence à graviter autour du groupe : Lucien Ménard, dit Pop’s Lulu, travaille à la réalisation d’un film pour l’ONF. Ce documentaire, Je chante à cheval avec Willie Lamothe, verra le jour l’année suivante. Épaté par le rock d’Opera Pop d’Offenbach, Ménard décide d’inclure le groupe dans ce film consacré au père de Willy. En septembre 1970, avec son équipe, il filme le groupe le temps d’une performance : « Everybody's Groovin », une des rares pièces composées par le groupe. Gerry adore Pop’s Lulu. Il le trouve brillant et hilarant. Rapidement, Ménard se soude au groupe, au point d’en devenir le gérant informel.
1971. Gerry en a assez de jouer sur son petit orgue Vox. Depuis un certain temps, il souhaite se procurer le très coûteux Hammond B3, le plus puissant du rock, notamment utilisé par Deep Purple et Al Kooper. Il s’en déniche un d’occasion, que le mécène du groupe, le père de Willy, financera en grande partie. Quant à Johnny et Willy, chacun se munit d’un ampli à lampe de fabrication italienne, un Davoli. Ces nouveaux ajouts, surtout le B3, marquent un tournant sonore : une puissance rock digne de ce qui se fait de plus lourd en Occident.
À Rouyn-Noranda, en avril 1971, Ménard obtient un engagement comme régisseur de plateau sur le tournage du long-métrage expérimental Bulldozer. Ce film genre rural underground s’avérera le plus bizarroïde de l’histoire du cinéma québécois. Son réalisateur, Pierre Harel, artiste multidisciplinaire, est né le 8 mai 1944 et a grandi à Sainte-Thérèse, dans les Laurentides. Doté d’un esprit quasiment visionnaire, il mène souvent à terme, par la force de sa conviction, des projets très laborieux. Harel cherche des musiciens pour enregistrer la musique de son film, dont il a déjà composé quelques morceaux. Bien évidemment, Pop’s Lulu saute sur cette occasion en incitant Harel à venir constater l’étendue du talent de ses nouveaux protégés. Tous les week-ends du mois de mai, Opera Pop d’Offenbach se produit à l’hôtel Pointe-Valaine à Otterburn Park. C’est là qu’Harel fait la connaissance du groupe. Il est épaté par leur rock d’avant-garde. Aux prises avec ses incessantes lubies artistiques, il se projette déjà en avant-plan de cette formation. Cette ambition s’explique. Il a commencé une carrière de chansonnier à l’âge de quatorze ans. Mais son atout le plus important est sans contredit sa plume. Rapidement, il s’infiltre dans le groupe et introduit dans ses musiques des paroles en français, plus précisément en joual. Jusqu’à maintenant, rêvant de rayonner partout en Amérique, Opera Pop d’Offenbach, chantait du rock en anglais. Puis Harel, mobilisateur, gratifie le groupe d’un second guitariste, Marcel Beauchamp, qui joue également du piano. Le groupe est devenu un sextuor.
Août 1971. Harel engage le groupe (dorénavant nommé Offenbach Pop Opera) pour l’enregistrement de la bande originale de son film, et allonge une frêle avance. Le onzième jour du mois, on se rend de nuit dans un studio de Montréal pour jeter les bases de quelques pièces. Dès lors, ce projet avance à pas de tortue. Par ailleurs, en septembre, à peine trois mois après son arrivée, Beauchamp quitte le groupe pour se joindre aux musiciens du flamboyant Robert Charlebois.
Les 17 et 18 décembre 1971, Offenbach Pop Opera se produit dans un hôtel à Saint-Sauveur-des- Monts. Le jour, on profite de cette grande salle pour répéter derrière ses portes closes. Le groupe élabore une pièce de blues à saveur rock en la jouant en boucle. Harel débarque au beau milieu de ce jam. Gerry improvise dans un anglais approximatif. L’écoutant, Harel n’arrive pas à distinguer s’il chante en français ou en anglais. Il saisit alors un bout de papier et y transcrit les sonorités qu’il capte : That’s why, that’s why » deviens « L’aut’soir, l’aut’soir » et « Callin' the Blues » se transforme en « Câline de blues ». En moins de vingt minutes, le texte est terminé. Le prolifique Harel avait déjà écrit quatre chansons en français pour les chanter lui-même avec le groupe, car Gerry refusait encore de chanter dans sa langue. Mais avec ce nouveau texte, la donne change, d’autant plus que la phonétique linguistique (très anglaise) lui va comme un gant. Du coup, « Câline de blues » ouvre la porte vers sa nouvelle signature musicale : un rock bluesy en langue québécoise — un style quasi unique.
Début 1972, une bonne connaissance de Harel et de Ménard s’intéresse de plus en plus au groupe et s’engage à le gérer : Lise Lafontaine, productrice de cinéma, se partage les tâches avec Ménard. Elle habite un vaste appartement de douze pièces sur deux paliers au carré Saint-Louis à Montréal. Harel y vit depuis déjà plus d’un an. Peu à peu, tous convergent vers cet endroit — une sorte de quartier général communal.
Pendant ce temps, en raison de difficultés financières, la bande originale de Bulldozer est toujours en latence. On travaille par conséquent à un premier album. La marmite d’inspiration est en pleine ébullition. On a même l’idée d’un concept à l’image de ce qui se fait dans le rock britannique. Une sorte de grande suite musicale qui ferait l’entièreté d’un disque et qui s’intitulerait The Offenbach Soap Opera. Ce projet n’ira malheureusement guère plus loin. On focalise plutôt sur ce qu’on a déjà composé. Huit morceaux sont retenus : quelques pièces du film Bulldozer et quelques rocks et blues anglophones et francophones. Lise Lafontaine convainc son ex-mari, le réalisateur de musique populaire Stephane Venne, de venir entendre le groupe à L’Évêché de l’Hôtel Nelson. Après deux morceaux, il est conquis et accepte de se lancer dans cette aventure rock. De plus, Venne est chef de production de la division québécoise de Barclay, célèbre label français. C’est ce major qui produira l’album.
En mars 1972, on se rend rue De La Gauchetière au renommé Studio RCA Victor pour enregistrer un demo des pièces qui se retrouveront sur l’album. Cette réalisation servira à identifier les points à fignoler. Le groupe passe à l’étape suivante. Mai 1972, on commence de nuit l’enregistrement de l’album dans le studio le plus avancé techniquement de Montréal sinon d’Occident. En effet, le célébrissime André Perry a érigé en 1970 un double studio dans une église anglicane au carré Amherst, en plein centre de Montréal. Il est le premier au monde à disposer de deux magnétophones de 16 pistes synchronisés à partir d’un contrôleur. Michel Lachance et Ian Terry sont les ingénieurs du son qui accompagnent Stephane Venne dans ce travail de réalisation. En moins d’une semaine, on a terminé l’enregistrement. Le 20 juillet 1972, on lance cet album intitulé Offenbach Soap Opera, nouveau nom du groupe. L’évènement a lieu lors d’un après-midi spectacle dans la cour intérieure de l’Hôtel Nelson, dans le Vieux-Montréal. Ce premier effort ne fait toutefois que très peu de vagues dans le milieu musical et se vendra peu (environ 3 000 exemplaires). Tout de même, deux pièces chantées par Gerry deviennent instantanément des incontournables du groupe : « Câline de blues » et « Faut que j’me pousse ».
Du 15 au 20 août 1972, le groupe se produit aux confins de l’Abitibi, à l’hôtel Saint-Louis de La Sarre. Dès le premier soir, ça dégénère. À la fin du spectacle, échappant à une bagarre générale, le groupe se réfugie dans sa chambre, à l’hôtel. Harel, camé, hallucine, fixant intensément le miroir de la petite commode. Il voit s’y refléter l’Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal, et le groupe donner un spectacle rock sous le grand dôme. Avec sa ferveur habituelle, il fait part de cette vision onirique au groupe...
De retour à Montréal, Denis Boulet est de plus en plus découragé de la situation précaire du groupe. De plus, il n’aime pas le leadership qu’Harel s’est octroyé. Par-dessus tout, il déteste sa manière de chanter. Il quitte donc Offenbach Soap Opera et, dans la foulée, le domaine de la musique. Gerry, sous le choc, peine à digérer le départ de son grand frère.
Dès lors, on cherche un nouveau batteur. Johnny propose Roger Belval, l’ami d’enfance avec qui il a formé ses premiers groupes (Rockets / Venthols / Les Héritiers). Belval est né le 10 février 1948, soit un mois avant la naissance de Johnny. Tout comme lui, il a consacré sa jeunesse à la musique et développé un style bien à lui, notamment en inversant la baguette de sa main gauche. Cette partie plus massive de la baguette produit en effet une frappe franche et puissante sur la caisse claire. Son jeu est hors pair, tight et d’une dynamique intense. Toutefois, son but premier est de servir la cohésion des chansons. Pour Harel, Belval est un inconnu. Dès leur première rencontre, Harel le rebaptise Wèzo (souvent écrit Wézo ou Wezo). En effet, Belval porte ce jour-là un t-shirt imprimé d’un perroquet. Pour mériter ce surnom, Belval a également compté sur sa constitution physique très chétive et sa rare alopécie pouvant rappeler l’aspect d’un oisillon naissant sans plumage... À la fin d’août 1972, Wèzo fait partie du groupe. À présent, le quintette s’appelle tout simplement Offenbach. Le groupe décroche un engagement pour un film de l’ONF. En effet, le grand cinéaste Gilles Groulx commande à Offenbach une longue pièce instrumentale, enregistrée le 23 octobre 1972. Groulx la scindera en plusieurs parties pour appuyer diverses scènes de son long métrage pamphlétaire, 24 heures ou plus, finalisé en 1973.
Quelque temps plus tard, la vision d’Harel à propos d’Offenbach jouant à l’Oratoire se concrétise. Avec l’accord de l’archevêché de ce lieu sacré, mais surtout avec l’importante contribution du capucin peu conventionnel Yvon Hubert, on imagine un spectacle rock façon ecclésiastique constitué d’une fusion de compositions originales et de thèmes religieux, chantés en latin et en français. Cet étrange requiem — une messe des morts expérimentale — est baptisé Saint-Chrone de Néant. L’aventure s’annonce mystique et grandiose. Mais encore une fois, comme si Offenbach était condamné à faire face à l’échec commercial, la veille du spectacle, trois cents tickets à peine ont trouvé preneur. Néanmoins, par une sorte de revirement miraculeux, le soir du 30 novembre 1972, trois mille spectateurs franchissent les portes de la basilique et quasi le même nombre se voit refuser l’entrée du lieu rempli de curieux. C’est René Malo, nouveau gérant officiel d’Offenbach, qui produit ce show. Tout a été mis en œuvre pour l’immortaliser : une équipe de caméramans filme sur pellicule 16 mm, une radiodiffusion en direct est effectuée par CHOM-FM et, enfin, un studio mobile enregistre le spectacle en multipiste. Le 20 mars 1973, on lance un condensé de ce spectacle sur album. La réception médiatique est excellente, mais les ventes ne vont guère mieux que pour Offenbach Soap Opera. On se lance alors jusqu’à la fin de septembre 1973, au fil d’enregistrements sporadiques, dans le bouclage de la bande sonore de Bulldozer. Quant au film lui-même, le montage n’est pas encore approuvé par la production, sclérosant ainsi la sortie de la bande sonore sur disque, puisqu’il faut attendre celle du film.
Néanmoins, durant cette année 1973, Offenbach donne toujours une quantité appréciable de spectacles, dont certains importants : 20 janvier au CEPSUM de Montréal, pour le ODD Show (Offenbach, Dubois et Dufresne) ; en juin à Paris, avec une participation à l’évènement d’art visuel Canada Trajectoires 73 ; et, enfin, le 25 août à Québec, lors de L’été show de la bastille en première partie de Véronique Sanson. C’est d’ailleurs lors de ce spectacle que le cinéaste français Claude Faraldo est témoin d’une forme de lapidation envers Offenbach. En effet, les spectateurs lancent sur le groupe des bouteilles de bière et divers détritus. De toute évidence, ce public, majoritairement celui de la vedette française, est outré par ce rock avant-gardiste et subversif. Pour sa part, bouleversé par le talent du groupe et impressionné par cette étrange cohue, Faraldo visualise Offenbach affrontant un public français. Il conçoit alors un projet de film genre réalité. L’idée est de fixer jour et nuit sur pellicule le mode de vie intense du groupe ainsi que son rock décapant. Il présente son projet à Offenbach, avec une phrase en prime : « Venez chez moi, vous serez prophètes. » Le groupe, qui peine toujours à s’extirper de son perpétuel marasme, saute sur cette offre dans l’espérance d’une ascension...
Décembre 1973. Offenbach et Pop’s Lulu s’installent chez Faraldo à Garches, en France. Mais la manœuvre n’est pas si simple en ce qui concerne les instruments de musique, un problème étant survenu dans leur transport par cargo. Le groupe devra attendre quatre mois pour les récupérer. Sans instruments, les relations entre les membres d’Offenbach deviennent très tendues. De plus, Harel n’aime pas Faraldo. L’idée d’être filmé par l’œil cinématographique très intrusif de ce réalisateur lui répugne. Du jour au lendemain, après avoir remis à Gerry ses plus récents textes de chansons, il retourne au Québec. Ainsi se termine son aventure au sein d’Offenbach. Le 14 février 1974, Harel lance enfin Bulldozer, mais ne récolte qu’hostilité de la part des médias et du public. Sa bande sonore en fera les frais.
Avril 1974. Faraldo installe le groupe dans l’ancien couvent des Cordeliers, à Malesherbes, à soixante-quinze kilomètres au sud de Paris. On entreprend enfin le tournage du film et la tournée européenne. Plus d’une vingtaine de spectacles seront présentés en France et aux Pays-Bas. Cette nouvelle formule en quatuor est fabuleuse. Voix principale du groupe, Gerry est devenu un lion de rock. La symbiose du groupe est ahurissante, le son unique. Le 26 février 1975, le film Tabarnac est projeté en France. Il expose viscéralement cette aventure musicale décadente. Toutefois, ce long-métrage très brouillon n’intéressera quasiment personne. Le 8 mars, Offenbach rentre au Québec. Malgré l’échec de ce film, on produit un album double à partir des enregistrements des spectacles de cette tournée européenne captés par Mick Glossop (Tangerine Dream). On y inclut « Marylin », excellente pièce à saveur prog. Celle-ci a été enregistrée dans le sous-sol du couvent des Cordeliers. L’album Tabarnac s’avère d’une puissance sans précédent dans le rock québécois avec des titres percutants : « Ma patrie est à terre », « Québec rock », « Ether » et « Teddy (le chat) ». Il y a aussi des pièces d’un registre moins cru, telles que « Promenade sur Mars » ainsi qu’une relecture de l’« Hymne à l’amour » de Piaf. Quant à la pochette, s’inspirant de l’affiche du groupe, elle impose le symbole même de la musique d’Offenbach, libre et puissante : un oiseau hybride — colombe aux serres d’aigle. Le 4 novembre 1975, Tabarnac est présenté à la presse montréalaise mais n’atterrit dans les bacs des disquaires qu’en janvier 1976. L’album produit par Offenbach est distribué par le label Deram Records. D’ailleurs, le nom d’Offenbach apparaîtra dans les crédits de la production sur tous les albums subséquents de sa carrière... Avec ce disque, Offenbach obtient enfin une certaine forme de reconnaissance, publique et médiatique.
Pendant les 15 mois qu’Offenbach a passés en France, leur gérant René Malo a abandonné le monde de la musique pour se consacrer au cinéma. Quant à son fidèle facilitateur, Pop’s Lulu, il a été subjugué par cette aventure française, ainsi que par son milieu cinématographique. Il décide donc de s’y exiler pour de bon, au grand désarroi de Gerry. Néanmoins, Offenbach se trouvera un autre allié crucial pour son avenir — Francine Loyer. Gérante de L’Évêché de l’Hôtel Nelson, elle adore Offenbach qui s’y produit sporadiquement. Grâce à ses très nombreux contacts, elle met le groupe en lien avec Gerry Lacoursière, le président d’A&M Records Canada. Une entente est aussitôt signée avec le major. On prévoit réaliser dix albums en français et en anglais au cours des cinq prochaines années — projet titanesque. En septembre 1976, le groupe débarque à Toronto au Phase One Recording Studios pour enregistrer un premier album anglophone de huit titres : Never Too Tender. Les pièces sont en majeure partie écrites par Harel (bien qu’il ne soit plus dans le groupe) et composées par Boulet. Deux se démarquent : la ténébreuse « Edgar », évoquant l’écrivain Edgar Allan Poe, et la ballade « Sad Song » qui traînait dans le catalogue du groupe depuis l’époque du guitariste Marcel Beauchamp. L’album est réalisé par l’excellent George Semkiw (Lou Reed). Son travail est remarquable, mais il a hélas enrobé d’effets le son brut et viscéral du groupe, ce qui cadre mal avec la direction artistique d’Offenbach, qui, absent lors de l’élaboration du mix, n’a d’autre choix que de se résigner à accepter avec amertume le produit final. A&M Records décide de commercialiser l’album le 30 novembre 1976. Cela coïncidera avec l’élection du Parti québécois, parvenu au pouvoir quelques semaines auparavant, autrement dit, le pire moment pour lancer un album anglophone par un groupe québécois. Conscient de ce timing hasardeux, Offenbach tente de suggérer la haute direction du label de déplacer ultérieurement la date du lancement, mais A&M ne réagit pas. La commercialisation de Never Too Tender se fait partout en Amérique du Nord, et même en Europe. Malheureusement, ce n’est qu’un coup d’épée dans l’eau.
À cette époque, Offenbach est musicalement au climax de sa carrière. L’enregistrement en vue d’une radiodiffusion d’un spectacle donné le 24 septembre 1976 au Vancouver Playhouse témoigne parfaitement de cette ascension. Néanmoins, la discorde entre Lamothe et Boulet est devenue insoutenable. Pourtant, on enregistre un ultime album au Studio Tempo, fraîchement installé dans un cinéma désaffecté du quartier Pointe-Saint-Charles. Le disque est réalisé par Ian Terry avec qui le groupe a déjà travaillé sur Offenbach Soap Opera. La pochette de cet album éponyme arbore un étrange dessin des visages de ses membres — multicéphale hirsute et phallique. Il sera surnommé Caricature. L’enregistrement est bonifié par un violoniste soliste pour deux pièces. Du reste, cet ajout avait déjà été expérimenté sur la pièce titre de l’album précédent, « Never Too Tender ». Harel signe les paroles de trois chansons, et les six autres, originales, sont de Gilles Rivard, André St-Denis, Jean Genest, Michel « Willy » Lamothe. Enfin, Gilbert Langevin a signé la fameuse chanson « La voix que j’ai ». Mis à part l’adaptation française de « I'm a Rocker » de Chuck Berry, les musiques sont toutes de Boulet (dont deux avec Gravel et une avec Lamothe). Cette forme de quasi-monopole de Boulet n’est pas sans accentuer la rogne de ses trois comparses (surtout Willy qui voit rouge). En fait, on considère que l’effort en composition est un concept collectif à l’image des rouages musicaux liant ses membres... Le 12 avril 1977, l’album est commercialisé une fois de plus par A&M Records. Sur ce disque, la surprenante cohésion du jeu du groupe ainsi que la qualité et le style de ses pièces sont tout à fait en phase avec les hautes aspirations d’Offenbach. Caricature s’avère sans aucun doute son album le plus convaincant à ce jour... Du reste, un projet secondaire pour Offenbach voit le jour cette même année alors que le cinéaste Maurice Bulbulian lance son court documentaire Les gars du tabac, qui se penche sur les conditions de travail des jeunes Québécois en terres ontariennes. Quelques apparitions d’Offenbach en spectacle rehaussent le récit. Bref, après toutes ses années de tensions, le point de non-retour est franchi. Le 20 juin 1977, l’Offenbach connu sous cette formule (Gerry, Johnny, Willy et Wèzo) donne un tout dernier spectacle au Café Campus de Montréal. Son rock iconoclaste, brut, viscéral et sale vient de s’éteindre à jamais...
Le groupe est maintenant scindé en deux : Lamothe et Belval retrouvent Harel pour constituer Corbeau, tandis que Boulet et Gravel conservent le nom Offenbach. En effet, la signature d’Offenbach repose sur ces deux musiciens qui forment une unité sonore aisément reconnaissable. On décide de restructurer Offenbach en quintette, avec deux guitaristes plutôt qu’un. Les musiciens qui s’ajoutent sont le batteur Pierre Lavoie, le bassiste Normand Kerr et le guitariste Jean Millaire (futur membre de Corbeau). Cette formule ne dure toutefois que huit mois. Estimant que le groupe va nulle part, Millaire et Kerr annoncent leur départ. Gerry est en « beau tabarnac » ! Encore une fois, on doit restructurer le groupe. Cependant, Gerry et Johnny n’ont pas oublié leur rencontre inusitée avec le bassiste Breen LeBœuf au Piccadilly Tube, au début de 1977. C’était à Toronto, alors qu’Offenbach y faisait la promotion de Never Too Tender. On réussit à joindre LeBœuf pour l’inviter à auditionner. Du coup, le musicien suggère un guitariste qu’il connaît bien : Doug Macaskill. Le 26 mars 1978, les deux Ontariens débarquent à Montréal pour auditionner chez Offenbach. De leur propre chef, ils avaient déjà appris les albums Never Too Tender et « Caricature ». En effet, à la suite d’une solide performance, ils se joignent au groupe. Hélas, comme une fatalité du destin, une autre brique percute le groupe, alors que A&M Records résilie son contrat avec Offenbach. Macaskill, découragé de cette précarité et ne voulant pas réellement s’installer à Montréal, tire sa révérence trois mois après son arrivée dans le groupe. LeBœuf fait donc appel à un jeune guitariste virtuose, John McGale. Cela est sans compter que le musicien a une voix solide pour les chœurs et qu’il apprendra en un tournemain à jouer de la flûte traversière et du saxophone. Tout comme Breen, il est originaire de North Bay. Néanmoins, Breen a grandi dans les deux langues, tandis que John est unilingue anglophone. Leur différence est également marquée par l’âge : LeBœuf est né le 18 juillet 1949, et McGale le 30 octobre 1956.
Offenbach se doit maintenant de traverser cette période de transition. Pour ça, il lui faut un nouvel album. Ce sera Traversion. Mis à part la pièce « Ayoye », Gerry et Johnny n’ont guère de matériel concret. Les fondateurs manquent clairement d’inspiration, et c’est alors que McGale propose son bagage de pièces. Il signera ainsi plus de la moitié des compositions de ce nouveau disque. Cette nouvelle dynamique de travail s’imposera d’elle-même pour tout l’avenir d’Offenbach... Mais il s’agit également de trouver du financement. Gerry se tourne vers René Malo, l’ancien gérant du groupe, qui accepte de produire l’album. De nouveau, Ian Terry le réalise, mais cette fois dans un tout nouveau studio : T.M. Audio. Pour l’écriture des chansons, on fait appel au parolier de Beau Dommage : Pierre Huet. En peu de temps, il signe toutes les chansons de l’album, sauf en ce qui concerne la relecture de Raymond Lévesque de « Quand les hommes vivront d’amour » et de la chanson « Ayoye », d’André St-Denis. Parmi les excellentes chansons de Huet, une se démarque, écrite sur mesure pour le groupe : « Mes blues passe pu dans’porte ». En une seule après-midi, Gerry et Breen composent une musique parfaitement imbriquée à ce texte, qui deviendra le plus grand succès du groupe. On découvre alors le grand talent de LeBœuf, avec sa voix époustouflante au registre haut perché. Du reste, Gerry, de nature très compétitive, n’apprécie guère laisser sa place de chanteur à un autre. Mais Breen sait comment gérer ce genre de situation — et tant d’autres d’ailleurs... Il fait comprendre à Gerry qu’il ne veut pas sa place, et qu’il ne la lui prendra pas. L’entente entre les deux chanteurs, claire et sans anicroche, est ainsi scellée. Les sessions d’enregistrement avancent rondement, mais Pierre Lavoie s’énerve. Le très sympathique batteur est talentueux, mais, peu familier avec les studios, il peine à finaliser son travail. On fait donc appel au très expérimenté batteur de sessions Pierre Ringuet (qui a notamment travaillé pour Diane Dufresne) pour réenregistrer la moitié des pièces du disque. Tout compte fait, Gerry se résigne à annoncer à Lavoie qu’il ne fera pas partie de l’avenir d’Offenbach... Là encore, Breen cherche parmi ses contacts, et retrouve un ancien collègue de 1972, le batteur Robert « Bob » Harrisson, alors à Terre-Neuve. Il accepte de se joindre au groupe. Né le 9 septembre 1950 à Cowansville, Bob est batteur depuis son enfance. Il joue tight avec une grande force de frappe. Le quintette renouvelé par sa présence est franchement excellent. Son approche de rock actuel est à l’image de ce qui se fait au Canada et aux États-Unis, scindant ainsi avec le passé du groupe à la musicalité plutôt expérimentale et singulière. En mars 1979, Traversion est lancé. Encore une fois, la pochette ne laisse pas indifférent avec un étrange personnage aux couleurs explosives créé par l’affichiste Vittorio Fiorucci. Au cours de l’année, Traversion cartonne avec plus de quarante mille exemplaires vendus. Le 23 septembre 1979, Offenbach rafle avec cet album un Félix au tout nouveau Gala de l’ADISQ : Microsillon de l’année.
Offenbach a désormais le vent dans les voiles, mais personne n’est réellement au gouvernail. Du reste, Alain Simard de chez Spectra flaire cette bonne affaire depuis un moment. Avant qu’il devienne officiellement gérant du groupe (avec André Ménard), c’est avec lui qu’on fera affaire pour le tout nouveau projet d’Offenbach. En effet, Offenbach est en admiration devant Vic Vogel et son Big Band de jazz. Le groupe assiste régulièrement aux répétitions que conduit Vogel chaque lundi au El Casino. Les spectacles de ce club de Montréal sont justement produits par Alain Simard et son associé André Ménard. Fasciné par l’interprétation de « Georgia on My Mind » des musiciens du Big band, Gerry rêve de la chanter avec eux. Alain Simard et Alain de Grosbois (FIJM) ont alors l’idée de fusionner les deux groupes. Quelques jours après le lancement de Traversion, Offenbach fait une répétition sommaire avec Vic Vogel et quelques-uns de ses musiciens en prévision d’un évènement grandiose qui sera présenté les 30 et 31 mars au Théatre Saint-Denis. Le jour J, malgré une difficile après-midi de préparatifs, Offenbach et l’époustouflant big band se révèlent fabuleux sur scène. Ian Terry avec le studio mobile Filtroson enregistre les concerts sur 24 pistes. La captation du deuxième soir sera la bonne. On en tire l’album En fusion qui sera lancé le 12 février 1980 — pour devenir disque d’or le 18 février 1986. Cela est sans compter une série de concerts qui fera légende, quelques-uns en juin 1979, et une dizaine en mars 1980. Cette grande aventure musicale inspire totalement Johnny Gravel. En rétrospective, le grand Vogel évoquera le talent particulier de Johnny Gravel en ces termes, ainsi que le rappelle Marie Desjardins dans Vic Vogel, histoires de jazz : « C’était, précise-t-il, le plus spontané ; il savait prendre des chances quand il jouait, comme un vrai jazz guy. »
À la fin du mois de décembre 1979, on entre au Studio Marko, rue de la Gauchetière, pour réaliser un autre album anglophone, Rock Bottom. La Société Radio-Canada et Alain de Grosbois épaulent Spectra pour produire cet ambitieux projet. On y entend à maintes reprises les cuivres de Vogel. Ce bon travail est dû à Louis Gauthier, qui œuvre à la console. Sur ce disque, on donne une seconde vie à « Sad Song » et à « High Down » de l’album Never Too Tender. On fait une excellente reprise de « Georgia on My Mind » avec de majestueux arrangements de cuivres et de cordes de Vic Vogel. Y figure aussi une des rares compositions de LeBœuf, « Someone on the Line », saveur R&B et franchement réussie. Quant aux paroles et aux musiques des six autres chansons, elles sont signées John McGale. L’album verra le jour seulement un an plus tard.
Spectra organise alors un coup d’éclat. Le 3 avril 1980, Offenbach devient le premier groupe québécois à jouer au Forum de Montréal. On a même engagé John Mayall (le père du British blues) pour ouvrir l’événement. Toujours en quête de nouveaux défis pour Offenbach, Spectra organise un autre spectacle grandiose à la Place des Nations : celui de Chuck Berry accompagné par le quintette. Cette aventure rocambolesque se produit le 7 août 1980. En effet, fouteur de troubles professionnel, Berry fait des siennes. Avant le début du spectacle, il menace de ne pas jouer si les deux guitaristes (Johnny et John) sont sur scène avec lui. Finalement, sans crier gare, Berry commence sa performance — seul. Après quelques morceaux, il appelle Offenbach sur scène. Tous s’exécutent, mais l’ambiance est exécrable. Au moment du rappel, Berry a disparu avec son cash, sa Gibson ES-355 et sa Cadillac... Gerry et Johnny fulminent, et garderont à jamais une haine viscérale envers ce fondateur du rock. Le 5 octobre 1980, au Gala de l’ADISQ, les récompenses fusent à nouveau pour Offenbach avec pas moins de trois Félix remportés : Groupe de l’année, Microsillon de l’année (avec En fusion), et Spectacle de l’année (avec Offenbach au Forum).
Avant la fin de cette année faste de 1980, on s’envole vers l’Europe pour quelques spectacles. Toutefois, ça ne va pas du tout pour Bob Harrisson. Aux prises avec de sévères problèmes de foie, il doit être hospitalisé. On annule deux concerts et on engage illico Jerry Mercer (April Wine) en remplacement. Des décennies plus tard, on lancera un album à partir d’un enregistrement sur cassette de ce spectacle donné à Montreux, témoin unique de cette aventure avec cet exceptionnel batteur. Puis Rock Bottom est finalement lancé. Pour la pochette, on a retenu une photo sur laquelle le groupe s’est lui-même mis en scène, voyous picolant dans un repère d’itinérants. Malheureusement, ce deuxième effort anglophone ne récolte guère le succès escompté au Canada et en France. Il est même boudé par l’auditoire québécois, comme ce fut le cas pour l’album Never Too Tender.
Mars 1981. Offenbach s’affaire à enregistrer un nouvel album en français : Coup de Foudre!! On cherche un son brut qui reproduit l’énergie du direct. Pour ce faire, on s’installe dans un édifice désaffecté, ce qui donnera un effet naturel de réverbération aux enregistrements, mais le résultat est décevant. On utilise le studio mobile Filtroson, le même que pour l’épopée du Théatre Saint-Denis pour l’album En fusion. C’est à nouveau Louis Gauthier qui enregistre et mixe. Pour la pochette, on fait une fois de plus appel aux services de Vittorio. Cela va de soi, car Coup de Foudre!! est en quelque sorte la continuité de Traversion par son style musical. Les chansons de l’album sont bonnes, mais rivalisent difficilement avec les excellentes de Traversion — le Graal d’Offenbach. Les fans restent sur leur appétit. Pourtant, trois auteurs majeurs ont participé à cet album. Plume Latraverse participe à l’écriture de deux titres, André St-Denis et Pierre Côté en signent chacun quatre. La moitié des compositions sont signées McGale. Boulet et Gravel en composent chacun deux et Breen co-signe avec McGale le simple et le plus convaincant morceau de l’album, « Rock de v'lours ». Le disque est lancé par Spectra en juillet 1981, juste avant le début de l’imposante tournée Québec Rock. En août et septembre, la caravane prend la route avec Garolou, Zachary Richard et, bien sûr, avec Offenbach en tête d’affiche. Plus de vingt spectacles sont présentés, dont trois avec le célèbre Joe Cocker qui réchauffe les foules (Forum de Montréal, Palais des sports de Sherbrooke et Colisée de Québec). Les coûts d’une telle entreprise sont astronomiques. Au final, le pécule net remis à chacun des membres d’Offenbach est loin d’être important. De plus, Offenbach passe le reste de cette année 1981 au neutre, ce qui l’enfonce encore dans la précarité. Une compensation du reste : la sortie du documentaire Métier : boxeur d’André Gagnon, dans lequel on entend trois excellentes pièces instrumentales d’Offenbach, réalisées sur mesure pour ce film. Mais cela n’est absolument pas substantiel. Harrisson doit travailler de son côté à un projet solo : Bob Harrisson Blues Band. Gerry n’aimant pas trop que les membres du groupe se livrent à des activités en marge d’Offenbach, demande à Bob de faire un choix. Aussi surprenant que cela puisse paraître, Harrisson « tire sur la plug ». Fin abrupte de son aventure avec Offenbach... Pendant cette même période de pause, on en profite pour structurer la mécanique fiscale du groupe. Ian Tremblay devient le comptable. C’est avec son appui qu’on fonde Offenbach inc.
Janvier 1982. On recrute le batteur Pat Martel, né le 11 avril 1957 à Rockland en Ontario. Son jeu de batterie cadre parfaitement avec le rock d’aréna à la Offenbach. Sa force de frappe est monumentale. On le surnomme « Le marteau ». De plus, il s’entend à merveille avec Gerry... Parallèlement, le grand partenariat avec Spectra s’est terminé en queue de poisson, à la suite de Québec Rock. Le groupe s’improvise donc producteur d’une tournée de spectacles qu’on présente majoritairement dans des bars de la province. Dans les coulisses, on surnomme l’aventure Bacon. En effet, l’idée des musiciens est de mettre du comptant directement dans leurs poches. À partir d’un enregistrement rescapé de cette tournée, un double album sera lancé en 2015, postérieurement à l’activité du groupe.
C’est avec CBS Disques Canada qu’Offenbach signera une importante entente de plusieurs albums. À la fin de 1982, le groupe débarque à Québec pour enregistrer son premier disque avec ce label, Tonnedebrick. Bien que son titre et sa pochette (le dessin d’un gant de boxe) annoncent une sonorité visiblement puissante, il en retourne autrement ! Le son de la guitare basse est trop mince et peu dynamique. Mais cela n’est rien à comparer au son des batteries, surtout celui de la caisse claire. Il s’avère trop compressé, « gaté » et enrobé d’effets peu convaincants, un peu à l’image des tendances de cette époque. De plus, le temps alloué à la réalisation est limité, ce qui n’aide en rien le résultat final : les sessions d’enregistrement se sont déroulées sur vingt-deux jours au studio P.S.M. avec le réalisateur Michel Lachance (Harmonium). Néanmoins, les prises de son et le traitement des pistes de guitare et surtout ceux des voix sont bons, rattrapant grandement cette situation désolante. Le pédalier de basse synthétiseur Moog Taurus dans « Pauvre Mari » ajoute également une couleur intéressante à l’album. Sans oublier l’excellente piste d’harmonica sur la pièce « L’ouragan », jouée par le roadie du groupe, Kent Bonkoff... Martel, le dernier arrivé, signe les paroles de deux pièces. Pierre Huet est de retour avec deux chansons. Quant aux autres, elles sont de Marc Desjardins, Plume Latraverse, Ève Diezel et Pierre Côté. Toutefois, les compositions sont majoritairement de McGale. L’album Tonnedebrick, paru le 22 mars 1983, connaîtra un succès mitigé, voire décevant...
Néanmoins, une tournée s’organise, comparable à celle de Québec Rock (vingt-sept spectacles produits par Luc Phaneuf) : À fond d’train. Cette fois, le convoi roule avec Plume Latraverse. Le 17 septembre 1983, on enregistre le concert donné au Forum de Montréal. Un double album de cet événement sera commercialisé au mois de décembre.
Malgré des succès répétés — surtout en spectacle — le groupe constate que son inspiration s’étiole. En fait, la toxicomanie est devenue une sorte de mode de vie, qui, à certains moments, prédomine sur la création musicale... Au début des années soixante-dix, Offenbach fumait du grass et prenait des hallucinogènes. Ces habitudes ont bifurqué graduellement vers la cocaïne, de plus en plus en vogue en Occident. Dans les années quatre-vingt, Gerry et Breen en sont devenus de sérieux adeptes. Étant donné cette dépendance, un lot d’individus fort peu recommandables s’est mis à graviter autour d’Offenbach, ce qui est même devenu inquiétant... C’est un peu (entre autres) à cause de ce climat que McGale (le plus sobre) devient le membre le plus actif chez Offenbach, avec son rôle bien ancré de compositeur principal. Gerry n’est pas sans sentir qu’il a perdu le leadership, et cela le dérange au point qu’il envisage d’évincer McGale. Mais le remue-ménage qu’engendrerait une telle manœuvre pèse lourd sur ses épaules. Il serait ardu de trouver un guitariste compositeur de son talent pour le remplacer. Gerry flirte plutôt avec l’idée de quitter le groupe, question de se retrouver seul maître à bord de son navire. Il s’y essaie avec un premier album solo en carrière : Presque 40 ans de blues. Mais à sa sortie, en mars 1984, les ventes sont un désastre absolu — huit cent quatre-vingts exemplaires.
De son côté, McGale travaille sur le prochain album du groupe — en anglais. À l’évidence, les exemples d’échecs passés de Never Too Tender et de Rock Bottom n’ébranlent pas McGale dans ses convictions. En mai 1984 on se rend au studio Multisons pour faire les maquettes de quelques pièces. On complète l’enregistrement de trois morceaux. Réflexion faite, Gerry réussit à convaincre McGale de mettre ce projet en veilleuse en faveur d’un album francophone. Au final, ce troisième album anglophone ne verra jamais le jour.
À la fin de 1984 et au début de 1985, on enregistre l’album Rockorama dans les studios Tempo et Multisons. McGale crée un environnement musical avec les nouvelles technologies du moment : batteries électroniques et guitare synthétiseur. Durant tout le processus de création, l’énergie du groupe est chancelante, et Gerry souvent absent. McGale est en quelque sorte laissé à lui-même avec Ian Terry, de retour à la console pour Offenbach, et compose la plupart des pièces... Le populaire Michel Rivard s’ajoute à la famille d’écrivains et de poètes qui a su mettre magistralement en paroles le rock d’Offenbach tout au long de sa carrière. Rivard en signe cinq, dont l’excellente « Seulement qu’une aventure ». Les autres sont de Pierre Huet, Pat Martel, et une, « L’homme en Blanc », est l’œuvre d’un monument en devenir de la chanson : Richard Desjardins. En mai 1985, Rockorama est lancé et Offenbach renoue avec le succès sur album. Malgré cela, Boulet n’a pas renoncé à son idée de dissoudre le groupe. Au cours de l’été, il annonce sa décision aux quatre autres membres. Tous sont sous le choc, surtout Gravel, dévasté par cette nouvelle, lui qui, avec Boulet, est le seul membre à avoir traversé toutes les époques d’Offenbach. Malgré ce bouleversement, on décide de terminer l’aventure en grande pompe et sur une note positive. Le 1er novembre, le groupe présente un ultime spectacle au Forum de Montréal : le temple du rock international au Québec, où Offenbach n’en est pas moins qu’à son quatrième spectacle en carrière. Bien entendu, on en profite pour immortaliser l’événement avec la réalisation d’un double album et d’un film — Le dernier show.
En quinze années, l’aventure Offenbach aura créé en Amérique française un répertoire diversifié et iconoclaste d’un rock unique. Cette musique est un vaste héritage pour le Québec, et saura sans doute continuer à faire son chemin dans les esprits des générations subséquentes.
— Longue vie à Offenbach !
© 2024